ÉCHEC DES POLITIQUES AGRICOLES ET DANGEREUSE DÉPENDANCE À L’IMPORTATION
Insécurité alimentaire
L’Algérie importe annuellement pas moins de 8 milliards de dollars de produits alimentaires de base. Cette tendance ne peut être inversée sans une politique agricole adaptée pour garantir la sécurité alimentaire au pays.
La problématique de la sécurité alimentaire de l’Algérie se pose avec acuité et risque de s’aggraver davantage compte tenu de la conjoncture économique défavorable que traverse actuellement le pays. L’Algérie n’a pas atteint ses objectifs stratégiques de sécurité alimentaire, estiment nombre d’experts. De par l’insuffisance de la production locale, elle demeure toujours dépendante de l’extérieur pour satisfaire une demande interne en produits alimentaires de plus en plus importante.
La double crise sanitaire et économique que vit le pays met en évidence les limites de ses stratégies de développement et a mis à nu ses faiblesses et sa dépendance à l’importation. Plusieurs études réalisées en ce domaine indiquent que plus de 2 millions d’Algériens n’ont pas accès à une alimentation suffisante. Une telle dépendance vis-à-vis de l’étranger du système alimentaire algérien, notamment pour les céréales et le lait, pose inévitablement le problème de la sécurité alimentaire du pays à moyen et long terme.
Cette dépendance constitue un facteur de forte vulnérabilité dans le sens où elle expose l’Algérie aux risques liés aux approvisionnements extérieurs et, par conséquent, aux pénuries et aux fréquentes perturbations sur les marchés. En effet, les importations de biens alimentaires ont occupé, durant le premier trimestre 2020, la 3e position dans la structure des importations globales du pays, avec un taux de 21,23%.
Représentant plus de 32,5% de la structure des importations alimentaires du pays, la facture des céréales, semoule et farine a atteint 629,50 millions de dollars durant les trois premiers mois de 2020, contre 614,39 millions de dollars à la même période en 2019, enregistrant ainsi une hausse de 2,46%. Les achats de l’Algérie à l’étranger des produits laitiers ont également augmenté à 363,96 millions de dollars, contre 339,15 millions de dollars, soit +7,32% entre les deux périodes de comparaison. En moyenne, la facture d’importation de produits alimentaires atteint plus de 8 milliards de dollars par an, dont près d’un tiers est constitué de céréales, semoule et farine.
L’Algérie figure parmi les plus grands pays importateurs de blé au monde. Elle est le troisième importateur de blé tendre à l’échelle de la planète. Le pays est aussi classé troisième importateur mondial de poudre de lait avec en moyenne des importations de l’ordre de 200 000 tonnes par an. La problématique de la sécurité alimentaire en l’Algérie, résume Mohand Amokrane Nouad, expert en agronomie et ancien haut cadre du secteur agricole, “implique la question agricole dans toutes ses dimensions. Elle est intimement liée à des contraintes naturelles (rareté des ressources en eau et en sol) et à la configuration des structures agricoles où prédominent les petites exploitations de faible productivité et cumulant des déficits technique, humain et organisationnel”.
Faiblesse de la production agricole
L’insuffisance de la production agricole algérienne, associée à une demande massive et croissante de produits agroalimentaires, induits par un changement progressif du modèle alimentaire, font de l’Algérie un “pays structurellement importateur et donc fortement dépendant de l’extérieur d’autant plus que 20% de la valeur de ses importations sont des biens alimentaires”, constate notre interlocuteur. L’adoption d’un modèle de consommation faisant appel à des produits d’importation, totalement déconnecté de la réalité agraire locale et souvent peu résilient face aux grands risques et aux effets des changements climatiques, est un constat amer et contraignant pour la sécurité alimentaire du pays, selon le même expert. D’où la nécessité, ajoute-t-il, de mettre en place une stratégie cohérente axée sur une politique de renouveau agricole et rural, une politique de l’eau et de l’irrigation, une industrie agroalimentaire et un développement des ressources halieutiques et aquacoles.
Cette stratégie, préconise Mohand Amokrane Nouad, doit être déclinée en programmes spécifiques avec des filières végétales (céréales, légumes secs, pommes de terre, oléiculture, phoeniciculture), animales (lait, viandes rouges et blanches) et des filières horizontales (programme semences, plants et géniteurs). Ce plan d’action, enchaîne-t-il, doit également tenir compte de la nature semi-aride de notre pays, car l’Algérie subit souvent un cycle régulier de sécheresse biennal, triennal, quadriennal et parfois quinquennal.
Le fait de négliger cet important paramètre lié à la faiblesse de la pluviométrie a donné lieu à des systèmes de production extravertis, non applicables aux zones agroécologiques, avec des conséquences néfastes sur l’économie nationale et la biodiversité, regrette l’ancien haut cadre du secteur agricole. “L’agriculture verte importée avec ses kits en vente concomitante (semences hybrides, engrais et produits phytosanitaires) ont eu un impact négatif sur notre savoir-faire et nos semences adaptées à notre système agraire et à nos systèmes de production”, relève, en outre, Mohand Amokrane Nouad.
Pour soulager l’Algérie de son éternel stress hydrique, il faudra revenir aux spécificités des zones agroécologiques avec un choix variétal adapté et des itinéraires recommandés, propose-t-il. L’expert suggère aussi l’application d’une règle élémentaire se référant à un concept connu des initiés qui est le système agraire.
Ce système qui combine un triptyque, terre, sol et homme, aboutira, soutient-il, à la spécialisation des zones en leur adoptant des systèmes de production cohérents et à moindre coût, valorisant au mieux les territoires. En pratique, conclut le même expert, c’est en fonction de la nature des sols et des disponibilités hydriques que l’on doit définir les variétés à cultiver avec une utilisation à la base de techniques qui économisent l’eau.