«L’agriculture de montagne est victime de contraintes qui pénalisent son rayonnement»

Mohand Amokrane Nouad, expert consultant en agronomie : «L’agriculture de montagne est victime de contraintes qui pénalisent son rayonnement»

De vivrière à véritablement productive, l’agriculture de montagne, longtemps cantonnée dans son rôle artisanal, se meut dans des problèmes endogènes qui ne favorisent pas son éclosion.

Si elle peut représenter dans une certaine mesure, un appoint pour l’agriculture des plaines, des efforts devraient être entrepris. Reste que des contraintes subsistent toujours, malgré un regain de productivité. L’agriculture de montagne peut être, elle aussi, diversifiée. Dans cet entretien M. Nouad Mohand Amokrane, expert consultant en agronomie, nous livre son point de vue sur la situation de ce type d’agriculture, sa diversification, ainsi que quelques solutions à même de la réhabiliter.   

Eco Times L’agriculture de montagne est par essence vivrière en Algérie. Pensez-vous qu’en dépit des conditions agro-climatiques, des modes d’organisation et d’appropriation des espaces par les communautés rurales, ainsi que des contraintes historiques qu’on lui connaît, celle-ci, dans l’immédiat, puisse jouer un rôle déterminant dans la politique agricole du pays ?

Mohand Amokrane Nouad : La production agricole des zones montagneuses représente 17% de la production agricole nationale. L’élevage et l’agriculture représentent les principales activités économiques dans ces zones dont la superficie agricole utile est de 1,5 million ha, soit 16% de la superficie agricole utile nationale.

Ces zones couvrent, tout ou partie des 28 wilayas du Nord et concernent 453 communes, soit 29% du total national définissant les zones de montagnes. Elles occupent une superficie agricole totale de 2,53 millions d’ha (soit 61% de la superficie totale des zones montagneuses) dont une superficie agricole utile d’environ 1,7 millions d’ha (soit 20% de la SAU nationale). Les forêts et maquis couvrent une superficie de plus de 1,6 millions d’ha et les parcours s’étalent sur près de 519 988 ha.

Le cheptel animalier est composé de 639 100 têtes de bovins, 2 660 000 têtes d’ovins et de 723 000 têtes de caprins. L’aviculture compte 67 millions de sujets (dont 60 millions de poulet de chair) et l’apiculture avec 613 000 ruches pleines.

L’activité agricole représente la base de subsistance principale des populations qui y vivent et sont près de 7 millions d’hab. (soit 17% du total national) dont 3,5 millions d’habitants de population rurale. La population active en agriculture est de 639 065 (soit 23% de la population active totale).Il est recensé 301 900 exploitations agricoles au niveau de ces zones.

Ces zones de montagne renferment un trésor inestimable et peuvent constituer l’or vert du pays si l’on arrive à les exploiter d’une façon rationnelle en profitant de la marge du progrès importante et une chaîne de valeurs très larges telles que les plantes aromatiques et médicinales, les produits du terroir et une agriculture agroécologique par excellence.

Tous ces indicateurs montrent bien la place non négligeable de ces zones dans l’économie agricole du pays et peuvent, avec une stratégie spécifique dédiée à ce territoire, tenir une place plus importante et contribuer plus efficacement à notre sécurité alimentaire.

La faible dotation en ressources naturelles – sols et eaux- de même que les conditions agro-climatiques, limitent singulièrement les possibilités d’intensification des activités agricoles de montagne. Une réorganisation de ce sous-secteur est-elle une solution ?

En fait, ce sont des terres agricoles, en général, de statut juridique privé, issues essentiellement de l’héritage familial. Elles se caractérisent par des petites tailles excédant rarement les 5 ha, avec un fort morcellement du parcellaire et des terres situées, en majorité, sur des fortes pentes.

Un système de production de type extensif, dans la plupart des cas orienté vers une économie de subsistance, utilisant très peu de facteurs de production. La main-d’œuvre employée est en majorité familiale et peu qualifiée.

Une pression anthropique assez forte s’exerce sur les ressources naturelles (sol, eau, végétation) faute de diversification de sources de revenus, ce qui se traduit par l’extension d’une céréaliculture marginale sur les pentes fortes des versants fragiles et le surpâturage, engendrant un processus d’érosion des sols très grave menaçant les systèmes de production en place ainsi que les ouvrages hydrauliques en aval.

Les spécificités du milieu rural montagnard sont contraignantes. Plus on s’élève en altitude, plus on assiste à une disparition des cultures annuelles qui ne peuvent subsister en haute altitude que sur les versants favorables. Lorsqu’elles subsistent, le raccourcissement de la période végétative oblige 1’agriculteur à utiliser des variétés de printemps (céréales à paille) et à cycle plus court (cultures fourragères), donc, plus précoces et moins productives.

De plus, le cheptel étant dans l’obligation d’hiverner plus longtemps qu’en plaine, les réserves fourragères plus chères que le pâturage devront être plus importantes et 1’éleveur est fréquemment obligé d’acheter le concentré à 1’extérieur : le chargement à l’hectare est diminué.

En définitive, l’altitude, la pente, le climat occasionnent des surcoûts, gênent ou interdisent la mécanisation, rendent difficiles les communications et restreignent les surfaces constructibles.

L’intensification dans les zones de montagnes n’est pas une solution, seule l’agriculture familiale peut être un levier de développement économique et durable compte tenu de la fragilité et de la sensibilité des écosystèmes existants dans ces territoires.

La réorganisation de ce territoire est une condition sine quoi non, car il nécessite une intégration entre le secteur agricole, forestier et pastorale pour pouvoir valoriser au mieux les potentialités énormes existantes dans le volet agricole, pastoral, forestier et mellifère avec une forte prise en charge du développement des produits de terroir agricoles et non agricoles en vue de diversifier les sources de revenus.

Les zones du territoire agricole qui conjuguent, à la fois, des précipitations supérieures à 600 mm et des pentes inférieures à 3%, ne couvrent en Algérie que 500 000 ha sur une Algérie du nord qui s’étend sur plus de 40 millions d’hectares. Selon ce constat, avec une politique agricole et des moyens appropriés, l’agriculture de montage peut-elle représenter un appréciable apport et soutien à l’agriculture des plaines  et plateaux ?

Les agriculteurs de montagne associent, habituellement, l’agriculture, la foresterie et l’élevage en un système équilibré permettant de répondre à des besoins multiples dans un double objectif de production et de conservation. La montagne est un milieu riche en biodiversité.

Les produits agricoles des montagnes algériennes sont connus par leur diversité, leur qualité et leur spécificité, de plus, ils jouent un rôle important dans l’économie de ces régions. Les plantes aromatiques et médicinales occupent une place importante dans ces zones de montagnes. Leur valorisation sous forme de plantes sèches, huile essentielle ou extraits constitue une bonne alternative pour diversifier la production agricole. Il demeure, également, une activité génératrice d’emploi et de revenu pour les populations rurales de montagnes, et sources de devises pour l’économie du pays.

Il existe, en outre, plusieurs variétés de produits végétaux spontanés, qui prolifèrent dans le climat montagneux, on cite, à titre d’exemple, le Jujubier qui permet l’obtention d’un miel de très bonne qualité (monoflore), et ce dernier atteint environ les 5 000 da voir 6 000 da le kilogramme ; l’Opuntia (figuier de Barbarie) occupe une place importante comme brise-vent autour des habitations, c’est un fruit très apprécié et sa production fruitière arrive à un moment où les autres fruits sont rares et très chers (fin de l’été/début de l’automne).

D’autres produits agricoles de montagne jouent un rôle plus important dans l’économie et la dynamique locales des régions montagneuses algériennes, notamment les produits de terroir comme l’olivier et le figuier qui se vendent à des prix assez élevés.

Le développement de l’agriculture familiale en zone de montagnes permettra de réduire considérablement la ponction sur la demande des produits agricoles et agroalimentaires. Cette autonomie alimentaire pour les zones de montagnes contribuera à l’amélioration de la sécurité alimentaire de notre pays.

Spécialisation des territoires, pour le développement de la race bovine locale à finalité viandes rouges, c’est de développer une complémentarité avec comme zone naisseuse pour les montagnes et zones d’engraissement pour les plaines.

Les problèmes pour l’agriculture de montagne sont mis en relief, et en faisant une comparaison de l’agriculture de montagne avec 1’agriculture en plaine, la productivité et la rentabilité de l’agriculture de montagne sont bien inférieures. Si l’agriculture de montagne peut avoir un rôle à jouer dans celle des plaines, avons-nous les capacités techniques et  la culture appropriée, pour la faire évoluer ?

L’agriculture de montagne ne peut entreprendre qu’une gamme réduite de cultures : la rigueur du climat exclut, en effet, nombre d’entre elles. Mais, ses systèmes de production sont diversifiés à dominance agro-sylvo-pastorale, dominés par une polyculture extensive associée à l’élevage et à l’exploitation des ressources forestières.

Les contraintes qu’imposent à l’agriculture de montagne l’altitude, le relief, l’éloignement des marchés, sont irréductibles. L’agriculteur de montagne, associé à une nature réticente, ne saurait donc atteindre une efficacité comparable à celle des agriculteurs opérant sur des terres plus généreuses telles que celles des plaines.

Les capacités techniques existent et le savoir-faire local est maîtrisé mais nécessitant des prérequis avec des actions suivantes : – Les mesures antiérosives : reboisement, fixation de berges, repeuplement, entretien des forêts, réfection de banquettes et correction torrentielle ;- Les interventions de développement agricole comprennent l’amélioration des sols par épierrage, la mise en place de brise-vent, la plantation d’arbres fruitiers rustiques en irrigué et la viticulture ;- La mobilisation de ressources en eau par la construction de retenues collinaires, forages, l’aménagement de points d’eau et le captage de sources.

Quelles sont, selon vous, les conditions à même de réhabiliter l’agriculture de montagne et d’en tirer le maximum de son potentiel ?

L’agriculture de montagne a subi de profondes transformations au cours des dernières décennies, en raison des politiques gouvernementales, de la croissance démographique, de la rareté des terres et de la diminution de la taille des exploitations, de l’émigration et de l’intégration accrue des marchés mondiaux des produits de base.

L’agriculture constitue la principale activité économique au niveau des communes rurales des zones montagneuses. Cette agriculture est, cependant, confrontée à plusieurs contraintes qui s’opposent à son développement et à la valorisation de ses produits et sous-produits.

Le mode du développement des zones montagneuses reste peu intégré et mal approprié par les populations, n’intègre pas suffisamment les préoccupations et besoins spécifiques des populations ciblées et s’est focalisé davantage sur les infrastructures que sur la production disposant d’impacts sur la vie des citoyens. Il reste centralisé avec une approche participative peu maîtrisée par les différentes parties prenantes avec une faibleintégration des jeunes et des femmes. Les communes des zones montagneuses manquent de capacités financières et compétences humaines pour jouer leur rôle dans le développement local.

Un équilibre entre cultures et forêts est à trouver. Le tourisme peut fournir un appoint à l’économie de certaines zones. Mais pour maintenir des agriculteurs dans les régions déshéritées à ressources essentiellement agricoles, des mesures d’aide technique et sociale doivent être apportées par les pouvoirs publics.

Procurer aux agriculteurs de ces zones un complément de revenu soit directement, soit indirectement;

Des études plus approfondies devraient être menées en zones de montagne en analysant leurs propres potentialités afin de formuler des projets de développement convenant mieux aux systèmes de production agricole spécifiques à ces zones et qui peuvent satisfaire largement les attentes de la population montagnarde. Développer sur une base éco-pédologique, éco-agricole et éco-sociale, un modèle de développement agricole dans des zones montagneuses en conformité avec le développement durable.

Pour faire face à ces difficultés, une attention particulière doit être accordée à ces zones moyennant l’élaboration de programmes et projets de développement adaptés au contexte de ces zones et tenant compte de leurs contraintes et potentialités.

Les efforts déployés pour la valorisation des produits de terroirs et l’encouragement des cultures biologiques, tout en assurant une labellisation des produits locaux et une exploitation appropriée des plantes aromatiques et médicinales, sont à soutenir et développer pour servir de levier de développement économique de ces zones et procurer des revenus complémentaires aux populations locales.

Les forêts jouent un rôle important dans l’économie de la montagne en fournissant de l’emploi pour la plantation, l’entretien, la récolte, la transformation du bois et la production de papier. Elles offrent, également, des possibilités de loisirs et de tourisme.Le tourisme de montagne, constitue une opportunité faiblement valorisée pour mettre en valeur les richesses des zones montagneuses.

L’artisanat : secteur important mais peu valorisé.

Le secteur de l’artisanat constitue un moteur important du développement socioéconomique des zones montagneuses.

Certes, la politique de renouveau rural a mis l’accent sur le développement des régions défavorisées, dont les zones montagneuses, avec la dimension de développement rural pour faire cesser l’exode rural et, de ce fait, l’exode agricole, ainsi développer le secteur agricole et réaliser une dynamique économique locale. Cette politique est axée autour de quatre grands programmes : l’amélioration des conditions de vie des ruraux, la diversification des activités économiques en milieu rural, la protection et la valorisation des ressources naturelles et des patrimoines ruraux et le renforcement des capacités humaines et des capacités techniques rurales. Cette politique n’a pas atteint les résultats escomptés et qu’il y a lieu de la repenser : – Revoir les approches de développement pour les adapter au contexte des zones montagneuses, – Redynamiser l’économie des zones de montagne en ciblant les secteurs pourvoyeurs de richesse et de l’emploi, – Intégration des montagnes dans l’espace national au moyen de projets structurants, – Développement d’une économique durable avec des structures de production et des projets générateurs de revenus, – Encadrer l’exode rural au niveau des zones de montagnes, – Préserver l’environnement et assurer une gestion rationnelle des ressources naturelles – Promotion de l’agroforesterie et de l’agriculture de montagne, avec une valorisation du savoir-faire local des populations des zones montagneuses. A ce niveau, l’apport de la recherche-développement est fondamental pour la promotion de systèmes de production adaptés aux zones montagneuses, caractérisées par leur diversité et richesse biologique tant au niveau du matériel végétal qu’animal.

Entretien réalisé par Réda Hadi