Objectifs du Développement Durable : L’Algérie «leader du social en Afrique»
«L’Algérie peut-elle maintenir cette position de leader ?» s’interroge le sociologue Mohamed Saib Musette.
Le coût de ce leadership, estime le chercheur, serait «intenable à moyen terme».
Dans un récent article publié sur la plateforme ResearchGate, le sociologue Mohamed Saib Musette, directeur de recherche au Cread (Centre de recherche en économie appliquée pour le développement), revient sur la consécration, par L’ONU en 2020, du leadership de l’Algérie dans la réalisation des objectifs du développement durable (agenda 2030). Dans son article, le sociologue décrypte le rapport annuel des Nations unies 2020 sur les Objectifs du Développement Durable (ODD), analyse les résultats obtenus par l’Algérie, «déterminée à poursuivre l´implémentation de l´Agenda 2030», dont plusieurs objectifs sont «inscrits dans le programme du gouvernement». Cette détermination, note l’auteur de l’étude, doit aussi aller vers une «accélération de la réduction des inégalités sociales dans le pays». «Si l’Algérie a perdu sa première place en 2019 pour les ODD, elle est devenue le leader du social en Afrique en 2020», écrit Mohamed Saib Musette. Non sans réserves, le sociologue met en effet un bémol dès lors que le rapport de l’ONU n’intègre pas les effets et conséquences de la crise sanitaire. «Ce classement en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, a pourtant laissé des segments entiers de la population dans le dénuement. Les couches moyennes souffrent potentiellement d’un déclassement. La pauvreté risque de refaire surface, si ce n’est déjà fait car notre indicateur de pauvreté date de plus de 10 ans.» Le rapport sur les ODD en Afrique, publié en septembre 2020, indique que la Tunisie accède au premier rang des pays africains, estimés sur la base de 70 indicateurs, avec le meilleur score (67,10). L’Algérie est reléguée à la 4e position avec un score de 65,9 points. L´île Maurice occupe la 2e position (66,79), le Maroc avec 66,3 devance l´Algérie. «Cependant, sur le plan du social, l’Algérie est classée en première position en Afrique avec le meilleur score (76,74), estimé sur la base de quatre thématiques liées aux inégalités sociales dans le pays : accès aux services de qualité, extrême pauvreté et privation matérielle, inégalité selon le genre et inégalité des revenus.» Ces thématiques, rappelle le chercheur, sont mesurées à partir de 32 indicateurs pour le continent africain. L´île Maurice en deuxième position avec un score de 74,74 points, la Tunisie occupe la 3e place (73,51) et le Maroc est en 4e position avec 71,11 points. «L´Algérie peut-elle maintenir cette position de leader ?», s’interroge le sociologue. Le coût de ce leadership, estime le chercheur, serait «intenable à moyen terme». Et pour cause : «Les débats provoqués autour des subventions de l´Etat datent depuis quelques années. La nécessité de cibler l´aide matérielle et financière aux catégories sociales les plus vulnérables reste l´un des défis le plus importants pour les autorités.» L’Algérie, «champion du social», c’est d’abord un des «acquis relevant de l’ère du socialisme», rappelle l’universitaire. «Avec des subventions qui commencent à peser lourdement sur le budget de l’Etat, l’Etat providence est mis à rude épreuve pour la soutenabilité des dépenses sociales à moyen terme. Le principe de ciblage des couches défavorisées n’est plus à discuter en vue de réduire les subventions qui sont servies actuellement aux riches comme aux populations démunies.»
«L’inclusion sociétale reste à parfaire»
Le sociologue insiste sur «l´inclusion sociétale qui reste à parfaire». Car le positionnement de l’Algérie en qualité de leader africain sur ces indicateurs des LNBO (principe de l’agenda 2030 de développement durable, Pnud), est « établi en comparaison avec les autres pays du continent», lequel classement ne «permet en aucune façon d’adopter des politiques en direction des groupes vulnérables ou plus précisément des catégories des personnes qui subissent l’exclusion sociale». Le principe du LNOB de l’Agenda 2030 des Nations unies reposant sur «l’engagement» des pays membres pour une stratégie d’inclusion sociétale totale des personnes exclues sans aucune discrimination. «Il est important de savoir que la question d’inclusion n’est pas strictement orientée vers les populations démunies», précise le sociologue. «Les personnes exclues ne sont pas nécessairement des pauvres.» «Le couple exclusion/inclusion renvoie à toutes les formes de marginalisation, de stigmatisation, de discrimination qui impactent la dignité de la personne humaine.» Pour l’Algérie, plusieurs groupes sociaux sont ciblés par les politiques sociales. «Il y a les groupes classiques pour lesquels l’Etat mène des actions sociales : les enfants, jeunes, les femmes et les personnes âgées, les personnes vivant avec un handicap. On peut aussi ajouter le groupe des migrants pour lesquels des actions ponctuelles sont menées par des ONG, les associations caritatives ainsi que le Croissant-Rouge algérien.» Ravi mais pas euphorique : Mohamed Saib Musette, après ce classement gratifiant, donne la mesure du chemin à parcourir pour se mettre au niveau des pays «socialement avancés». «Nul besoin, recommande-t-il, de faire un état des lieux du social pour affirmer qu’il reste encore beaucoup à faire pour une inclusion sociétale totale des catégories sociales les plus vulnérables connues, à savoir les enfants abandonnés, les jeunes délinquants ou en danger moral, les jeunes chômeurs, les mères célibataires, les seniors délaissés par la famille, les personnes à mobilité réduite ou encore les migrants en situation irrégulière, les demandeurs d’asile, les réfugiés…»
M. Aziri