Réformer le secteur bancaire est un élément clé de toutes les réformes

Liberté :  Le  ministre  des  Finances,  Aymen  Benabderrahmane, a annoncé,

jeudi, que le gouvernement envisageait d’ouvrir le capital des banques publiques ainsi que l’ouverture de nouvelles banques privées. Qu’en pensez-vous ?

Ali Harbi : Il  me  paraît  que  c’est  une  annonce  importante  si  cette démarche est conduite à un rythme significatif qui puisse accélérer les réformes globales du tissu économique en Algérie.  L’opportunité serait à la fois de moderniser les banques étatiques qui restent encore assez peu performantes, de leur injecter des capitaux, et de développer de la concurrence dans le secteur bancaire par l’introduction de nouveaux acteurs, qu’ils soient d’actionnariat international et étranger.

Réformer le secteur bancaire est un élément clé de toutes les réformes économiques à mener en Algérie, dans le sens que c’est un déterminant de la mobilisation de l’épargne populaire et de l’accompagnement financier. En même temps, la démarche présente plusieurs risques et peut capoter si elle n’est pas conduite avec une vision claire des objectifs à atteindre.

Nous en citerons trois. Le premier est relatif à l’image dégradée de l’Algérie en termes d’investissement et de son climat des affaires, ce qui pourrait refréner l’intérêt des investisseurs nationaux et internationaux pour investir dans le secteur bancaire.

Un second risque est lié au contexte de la pandémie de Covid-19 et l’énorme destruction de valeur qui a eu lieu en 2020. En d’autres termes il y a moins d’argent disponible sur le marché mondial car les gouvernements s’endettent beaucoup pour financer leurs plans de sauvegarde et de relance économique. Il est peu probable que des investisseurs s’intéressent au marché bancaire en Algérie dans le contexte actuel.

Le troisième risque est plus opérationnel et porte sur la manière de conduire les opérations et leur agencement. Si on ouvre le capital des banques publiques en même temps que l’on fait des appels à manifestation d’intérêt pour ouvrir de nouvelles banques, cela va créer une compétition entre les actions sur une ressources plus rare comme avancé plus haut.

Pensez-vous que les banques publiques sont privatisables en l’état ? C’est-à-dire avec le niveau élevé des créances et des prêts improductifs…
Le ministère des Finances dispose à ce sujet de plusieurs options. Une première serait de générer une première phase de nettoyage des bilans des banques publiques en transférant les actifs pourris et toxiques vers une société de liquidation, ce qu’on appellerait une bad bank. Dans une deuxième phase l’ouverture du capital des banques se ferait sur des bilans assainis. Cette méthode risque de prendre du temps et de s’enliser dans une démarche bureaucratique.

La seconde option serait d’ouvrir les capitaux des banques en l’état des bilans, au prix de dépréciations importantes d’actifs. Il appartiendra aux candidats à la prise de participation de mesurer les risques clients avant de faire des propositions. Dans tous les cas, la question centrale sera le modèle de gouvernance et de management proposé pour redresser et dynamiser ces banques.

Cela fait environ 11 années qu’aucune banque privée à capitaux algériens n’existe sur le marché. Pensez-vous que le système bancaire algérien est en mesure de capter des investisseurs après tous les scandales qui ont marqué la première décennie 2000 ?
Il y a les scandales de la première décennie 2000, mais il y a aussi les scandales de la deuxième décennie 2000, donc 20 ans de scandales au total, tous liés à la prédation de la richesse nationale par une minorité d’un côté et au blocage des réformes par une énorme machine bureaucratique qui vit de la corruption et des petits privilèges de positions.

Pour répondre à la question, il y aurait un travail préalable de création d’un meilleur climat d’affaires, notamment en matière de sécurisation des investissements, et de débureaucratisation des activités, d’allégement de la réglementation des changes, d’encouragement des activités d’intermédiation et d’accompagnement financier.

Un signal important serait d’autoriser rapidement une création ou une ouverture de capital d’une banque publique avec un partenaire de renom international d’un pays allié et certainement pas de la même nationalité que les acteurs bancaires actuellement présents sur le marché algérien.

Propos recueillis par : ALI TITOUCHE